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La goélette Tara en navigation. © Sarah Fretwell - Tara Ocean Foundation Lignées de Pocillopora et de Symbiodiniaceae identifiées dans chaque échantillon à travers l'océan Pacifique. a) Carte montrant les 11 îles échantillonnées lors de l'expédition Tara Pacific ainsi que les climatologies de la température moyenne annuelle de surface de la mer (SST) sur la période 1981-2010 (NOAA OI SST V2 High-Resolution SST data). b) Affectation des lignées des colonies échantillonnées à la fois pour le photosymbionte (icône Symbiodiniaceae, panneau supérieur ; lignées génétiques Cladocopium et Durusdinium glynnii lorsqu'elles sont également présentes) et pour l'hôte Pocillopora (icône colonie corallienne, panneau central). Les lignées ont été identifiées à partir d'une analyse des polymorphismes de nucléotides simples (SNP) réalisée à l'aide de lectures métagénomiques pour l'hôte Pocillopora et de lectures métatranscriptomiques pour les Symbiodiniaceae. Dans les colonies contenant à la fois Durusdinium et Cladocopium, ces dernières ont été assignées à C. latusorum L5 en utilisant la distance de regroupement par paire de l'ITS2 (Fig. 3 supplémentaire). Les températures moyennes historiques de la surface de la mer (2002-date d'échantillonnage) pour chaque site récifal sont également affichées (panneau inférieur, S01/S02/S03-sites 01, 02 et 03). © Armstrong et al. 2023. Echantillonnage de corail à bord de Tara. © Noëlie Pansiot - Tara Ocean Foundation Plongée et échantillonnage autour de l'île Ducie. © Pete West - Tara Ocean Foundation Plongée et échantillonnage autour de l'île Ducie. © Pete West - Tara Ocean Foundation Vue aérienne de Tara dans le lagon de l'archipel de Wallis. © Pierre de Parscau - Tara Ocean Foundation
Après avoir décrit dans une news précédente l’étude de Voolstra et al sur la diversité génétique des populations de coraux, regardons aujourd’hui le travail d’Armstrong et al consacré aux relations symbiotiques entre le corail et ses symbiotes photosynthétiques.

On le sait, le succès des coraux constructeurs de récifs, à l’origine des plus grandes constructions animales au monde, les récifs coralliens, est dû à la symbiose entre ces animaux et de petites algues unicellulaires, les Zooxanthelles, des Dinoflagellés. Alors que les premiers travaux étudiant les partenaires de cette symbiose, dans les années 1960, ne décrivaient qu’une seule espèce de Dinoflagellé symbiotique présente chez tous les Cnidaires symbiotiques, Symbiodinium microadriaticum, l’apport des techniques de taxonomie moléculaire identifient aujourd’hui 9 genres différents, incluant chacun de nombreuses espèces, voire sous-espèces : SymbiodiniumBreviolumCladocopiumDurusdiniumEffreniumFugaciumGerakladiumFreudenthalidium et Halluxium. Les études de physiologie et d’écophysiologie ont montré que ces différents genres/espèces avaient des propriétés différentes, en particulier vis-à-vis de la température. Cela a fait naître l’idée que le blanchissement, un phénomène observé lors d’une augmentation anormale de la température conduisant à la rupture de la symbiose, pouvait être un mécanisme adaptatif, permettant au corail de se débarrasser de ses zooxanthelles inadaptées à une hausse de la température, pour des zooxanthelles mieux adaptées. Ainsi la question de la fidélité des partenaires de la symbiose est devenue une question majeure en écologie corallienne, avec ses partisans et ses détracteurs. La bonne compréhension de ces mécanismes permettra de prédire plus finement les réponses de la photosymbiose corail-Dinoflagellés dans un monde en surchauffe. L’étude présentée ici est la première réalisée à cette échelle géographique.

Au cours de cette étude, nous avons extrait l'ADN et l'ARN de 102 colonies du corail Pocillopora et de leurs algues Dinoflagellés collectées sur 32 sites de 11 îles de l'océan Pacifique afin de caractériser la fidélité hôte-symbiote et d'évaluer les contributions relatives des facteurs environnementaux et génétiques dans la détermination des profils d'expression des gènes à travers un gradient thermique. Pour cela, l'expédition Tara Pacific a permis des analyses comparatives des différences dans la composition de la communauté d'holobiontes et dans la régulation des relations symbiotiques entre des environnements et des conditions contrastés rencontrés à travers l'océan Pacifique.

Notre étude a montré une fidélité presque parfaite entre l’hôte corallien Pocillopora et des espèces spécifiques de Zooxanthelles, y compris ceux localisés dans les récifs les plus chauds du monde. Ces résultats permettent ainsi de trancher dans un débat vif entre fidélité et flexibilité chez les biologistes coralliens. Cela suggère aussi une co-évolution entre l'hôte Pocillopora et ses zooxanthelles, ce qui favorise l’adaptation de l’holobionte à un environnement donné. De plus, le maintien, chez certaines espèces de coraux, d’une flexibilité limitée pourrait favoriser une certaine plasticité phénotypique permettant l’acclimatation à certaines conditions, en particulier en cas de stress thermique aigu. Cet état a été plus particulièrement observé dans des sites qui ont connu un réchauffement prolongé et/ou sévère, ce qui aurait permis une sélection potentielle pour des lignées de Zooxanthelles résistantes à la chaleur sur les îles où les températures de surface de la mer ont été historiquement élevées.

Le second résultat majeur de notre étude concerne les modifications de l'expression des gènes, qui peuvent être influencées à la fois par les paramètres environnementaux et des paramètres liés aux partenaires de la symbiose. Chez l’hôte corallien, les profils d'expression des gènes répondent conjointement à la lignée génétique de l'hôte et à l'environnement local. La composition de la communauté de Zooxanthelles n'a qu'un impact faible sur l'expression des gènes de l'hôte. Quelques gènes cependant dépendent de l’espèce de zooxanthelles hébergée : ils sont impliqués dans plusieurs processus biologiques importants, liés à la régulation de la calcification (transporteurs membranaires de type ATPases), à la photosynthèse du symbiote et au piégeage des espèces réactives de l'oxygène. Ces modifications d’activité servent probablement à réguler la productivité des symbiotes dans les différents environnements. Au contraire de l’hôte, les profils d'expression génique des Zooxanthelles étaient fortement corrélés à leurs lignées génétiques et faiblement influencés par l'environnement.

Ces résultats montrent que le corail contrôle de façon fine le micro-environnement des Zooxanthelles afin d’atténuer l’impact sur celui-ci des variations environnementales. La sensibilité plus ou moins importante des coraux au blanchissement pourrait ainsi être liée à une capacité réduite de l'hôte à maintenir l'homéostasie acido-basique intracellulaire.

Dans l'ensemble, nos résultats révèlent une stratégie d'acclimatation thermique à trois niveaux chez Pocillopora, basée sur la spécificité hôte-Zooxanthelles, la plasticité transcriptomique de l'hôte et l'association symbiotique différentielle.


Publication :
Armstrong E.J., Lê-Hoang J., Carradec Q., Aury J-M., Noel B., Hume B.C.C., Voolstra C.R., Poulain J., Belser C., Paz-García D.A., Cruaud C., Labadie K., Da Silva C., Moulin C., Boissin E., Bourdin G., Iwankow G., Romac S., Agostini S., Banaigs B., Boss E., Bowler C., de Vargas C., Douville E., Flores M., Forcioli D., Furla P., Galand P.E., Gilson E., Lombard F., Pesant S., Reynaud S., Sullivan M.B., Sunagawa S., Thomas O.P., Troublé R., Vega Thurber R., Zoccola D., Planes S., Allemand D., Wincker P. Host transcriptomic plasticity and photosymbiotic fidelity underpin Pocillopora acclimatization across thermal regimes in the Pacific Ocean. Nature Communications14, 3056 (2023). https://doi.org/10.1038/s41467-023-38610-6
 

Pour plus de renseignments, veuillez contacter :
Dr Stéphanie Reynaud
Dr Didier Zoccola
Pr Denis Allemand