Que peut-on attendre des découvertes sur le microbiote et sa transplantation ?

Ce que l’on appelait autrefois la flore intestinale répond désormais au nom de microbiote intestinal, un écosystème complexe composé de bactéries, de virus, de levures et de champignons non pathogènes qui jouent un rôle déterminant et propre à chaque individu dans les fonctions digestives. Philippe Marteau, professeur émérite d’hépatogastroentérologie, a donné une conférence jeudi dernier au CSM (organisée par les Amis du Centre Scientifique de Monaco et l’Association Monégasque de Médecine Anti-Âge) sur les perspectives qu’ouvrent les recherches en cours.
 

Comment définir le microbiote et sur lesquels travaillez-vous ?

S’il existe un microbiote du sol, de l’eau, ce sont les microbiotes associés au corps humain ; microbiote cutané, vaginal, intestinal que nous évoquons ici… Le microbiote intestinal est la communauté de microbes la plus importante de notre corps et le plus étudié. A lui seul, il représente 50000 milliards de bactéries par individu, autant que de cellules humaines. Ce microbiote intestinal, constitué principalement de bactéries, mais aussi d’archées, de champignons et de virus, joue un rôle décisif pour plusieurs fonctions vitales de notre corps. Il participe à la digestion, aide à nous protéger des infections de micro-organismes pathogènes, stimule nos défenses immunitaires, interagit avec nos cellules… Il participe donc au maintien de la santé de l’hôte.

Ce microbiote est par définition strictement personnel…

En effet, chaque individu possède un microbiote qui lui est propre et relativement stable au cours du temps. Il est très variable d’un individu à l’autre, même chez les personnes en bonne santé. Aucun profil "sain universel" n'a pu être défini à ce jour, mais de grandes tendances permettent d’affirmer l’importance de la biodiversité du microbiote. On travaille d’autant plus efficacement qu’il n’est plus nécessaire de mettre en culture mais seulement de disposer d’ADN aujourd’hui. Les techniques de séquençage de l'ADN à haut débit ont révolutionné nos connaissances dans ce domaine en permettant une identification du microbiote rapide, efficace, précise et à un moindre coût.

Comment évolue-t-il ?

Le microbiote est largement affecté par l'âge, la prise d'antibiotique ou encore le régime alimentaire. En fait, seule une répartition équilibrée des espèces bactériennes permet au microbiote intestinal de remplir l’intégralité de ses fonctions. On parle alors d’eubiose, un état d’équilibre où cohabitent un microbiote favorable et un hôte en bonne santé. Cependant, cet équilibre est fragile et de nombreux facteurs extrinsèques (antibiotiques, chimiothérapies, régime alimentaire…) ou intrinsèques (infections, stress…) peuvent le perturber, aboutissant à l’état inverse : la dysbiose. Cet état peut être à l'origine de certains troubles et pathologies : syndrome de l’intestin irritable, troubles du transit, inflammations intestinales chroniques, obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires… Par exemple, des analyses du microbiote intestinal de patients atteints de la covid 19 montrent une dysbiose qui se caractérise par une baisse des bactéries ayant une activité anti-inflammatoire. Baisse d’autant plus importante que la forme de la covid 19 est grave.

Qu’en est-il du microbiote chez le nouveau-né ?

Le microbiote intestinal se développe essentiellement durant les deux premières années de la vie et il est clairement établi que sa composition influe sur la santé de l’individu en devenir. A la naissance, le microbiote d’un nouveau-né n’est pas encore diversifié ; il se développe et se constitue progressivement dans un premier temps au contact de la flore vaginale et fécale de la mère en cas d’accouchement par voie basse ou au contact de micro-organismes de l’environnement en cas de césarienne. La composition va s’enrichir au fil du temps en fonction de la nourriture donnée au nourrisson (lait maternel ou non), de la diversification alimentaire, de l’hygiène, de l’environnement, des traitements médicaux et de la génétique... Le microbiote d’un nourrisson allaité au lait maternel est plus riche en bifidobactéries et lactobacilles par rapport à celui de bébés nourris avec du lait « non maternel ». Le microbiote du nouveau-né étant fragile, il faut savoir que l’administration de certains médicaments peut engendrer des conséquences négatives sur son équilibre et son développement.

Plus généralement, comment concilier traitement antibiotique et maintien du microbiote ?

Les antibiotiques qui ont pour fonction de détruire certaines bactéries vont par conséquent entraîner une modification du microbiote intestinal et peuvent favoriser l’apparition d’autres pathogènes. Notre microbiote nous permet de lutter contre les infections, mais celui-ci peut également être déséquilibré lorsqu’on est sous traitement avec des antibiotiques. Ceux-ci perturbent la flore intestinale pendant et après le traitement. Les bactéries aussi bien bonnes que mauvaises sont la cible de ces molécules. La diversité ainsi que la quantité des micro-organismes sont altérées provoquant ainsi un déséquilibre dont la correction naturelle (résilience) peut durer plusieurs mois. Afin de restaurer cette flore intestinale, plusieurs stratégies peuvent être adoptées : alimentation riche en fibres, ferments lactiques, apport de pré-probiotiques, respect de la durée du traitement.

Parmi les innovations thérapeutiques, la transplantation de microbiote. Comment procède-t-on et que peut-on en espérer ?

Une approche actuellement très étudiée est celle de la transplantation fécale. Il s’agit d’extraire un échantillon de microbiote normal à partir des fèces de donneurs sains et de l’instiller à une personne malade. Le succès de cette approche dépend de l’importance du rôle de la dysbiose dans la pathogénie de la maladie : ce traitement est par exemple très efficace - et désormais utilisé en routine - pour traiter la diarrhée des patients qui souffrent d’une infection récidivante à clostridium difficile. En revanche, l’efficacité de la transplantation fécale reste controversée et n’est donc pas recommandée à ce jour dans la prise en charge du syndrome de l’intestin irritable.

On évoque aussi des liens entre le microbiote et l’état neurologique, qu’en est-il ?

Les intestins et le cerveau sont en constante relation. Lorsque l’homéostasie est rompue, les fonctions du microbiote sont modifiées et cela peut aussi retentir sur les fonctions cérébrales. De plus, une dysbiose intestinale peut entraîner, parfois même sur le long terme, une altération de la barrière intestinale en installant une inflammation de bas grade qui peut impacter le système nerveux central en induisant une neuro-inflammation. Ces phénomènes sont observés dans un grand nombre de pathologies neuropsychiatriques, telles l’anxiété, la dépression, l’autisme et les maladies de Parkinson et d’Alzheimer. Bien que ces différentes pathologies soient très différentes, on observe souvent une perte de l’intégrité intestinale. Cela dit, des études sont menées sur les interactions entre le microbiote et les maladies, y compris l’obésité ou l’alcoolisme. Elles devraient déboucher dans les années à venir et ouvrir la voie, je l’espère, à de nouvelles thérapeutiques. Comment ne pas mentionner qu’une équipe de recherche du Centre Scientifique de Monaco travaille en partenariat avec des chercheurs de l’université de Dubaï à un programme visant à définir chez des patientes atteintes de cancer du sein les modifications du microbiote intestinal et péri tumoral.

Source : La Gazette de Monaco