Publication en Biologie Polaire - Axe Observatoires du Vivant

Améliorer la surveillance par satellite des manchots empereurs : une nouvelle méthode qui permettra d'effectuer des comptages précis et d'évaluer le succès reproducteur de cette espèce emblématique de l’Antarctique menacée par les changements globaux.

Le suivi de la population mondiale de manchots empereurs est un défi majeur. Non seulement les manchots empereurs vivent dans un des environnements les plus hostiles et isolés de notre planète, leur présence à la colonie fluctue également drastiquement au cours de la saison de reproduction en fonction de toute une série de facteurs. Une nouvelle étude publiée dans Nature Communications, « Remote sensing of emperor penguin abundance and breeding success », a cherché à juguler ce défi par le développement d’une méthode capable de prédire avec précision le nombre de couples reproducteurs ainsi que le nombre de poussins à l’envol, à partir de quelques images satellites prises lorsque le printemps revient.

Au cours des deux dernières décennies, les chercheurs ont utilisé l'imagerie satellitaire, entre autres technologies, pour suivre l'évolution de cette espèce menacée notamment par le réchauffement climatique. Bien qu'ils aient fourni des données précieuses sur la population, les dénombrements effectués jusqu'à présent restent incohérents et peu fiables, et ce pour plusieurs raisons. La première est que les images satellites ne peuvent être prises qu'entre octobre et avril, faute de quoi la lumière n'est pas suffisante pour détecter l’espèce sur ses sites de reproduction, principalement sur la glace de mer. Un autre problème de l'imagerie par satellite est que le nombre de manchots présents dans une colonie peut varier considérablement, les adultes faisant d’innombrables allers et retours entre la colonie et les sites d’alimentation en mer. L'imagerie satellitaire ne permet pas non plus d’identifier les poussins.

Cette nouvelle méthode permet d'utiliser l'imagerie par satellite en conjonction avec des modèles phénologiques et comportementaux.

« Cela signifie qu'il faut tenir compte des événements saisonniers et conditionnels qui peuvent se produire au moment où une image satellite est prise. En ce qui concerne les manchots empereurs, il s'agit d'événements tels que la température ambiante perçue par les manchots, comparable à la température ressentie (ou de refroidissement éolien) pour les humains, ou l’effort et les performances de recherche alimentaire en mer", indique Daniel P. Zitterbart, de l’Institut Océanographique de Woods Hole (WHOI, États-Unis) et co-dernier auteur de l'étude. « Nous avons testé ces modèles phénologiques et comportementaux sur des périodes de trois et quatre ans dans deux colonies différentes.

Les chiffres estimés à partir de l'imagerie satellite ont été comparés à un ensemble de données recueillies sur une période de 10 ans à la colonie de Pointe Géologie (Terre Adélie, Antarctique). Céline Le Bohec, co-dernier auteur de l'étude du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS, UMR7178 et UMR5175, France) et du Centre Scientifique de Monaco (CSM), dont l'équipe a collecté cet ensemble de données dans le cadre du projet de recherche 137 de l'Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV), souligne l'importance des séries temporelles systématiques à long terme pour comprendre et prédire les impacts des changements globaux.

« La collecte systématique de données sur la composante biologique des écosystèmes n'en est qu'à ses débuts, en particulier dans les environnements hostiles, où il est particulièrement difficile de mettre en place et mener des recherches régulières, sur le long terme et coordonnées », insiste Céline Le Bohec. « Dans les années à venir, le changement climatique, la pêche et d'autres interférences humaines sur l'habitat du manchot empereur mettront la capacité d'adaptation de l'espèce encore plus à rude épreuve. La rareté des suivis à long terme du vivant dans ces régions constitue toujours une lacune majeure pour nos connaissances, et la mise au point dès maintenant de méthodologies standardisées et précises contribuera à la protection des manchots empereurs. »

Le premier auteur de l'étude, Alexander Winterl, doctorant à la Friedrich-Alexander Universität Erlangen-Nürnberg, espère que ces nouvelles estimations des populations garantiront des prévisions plus précises et éclaireront les politiques.

« Le déclin rapide de la glace sur et autour de l'Antarctique menace leurs moyens de subsistance » ajoute Alexander Winterl. « Des études antérieures suggèrent que plus de 90 % des colonies de manchots empereurs disparaîtront d'ici 2100 si l'on ne réduit pas considérablement les émissions de gaz à effet de serre. Nous devons disposer de données précises sur les populations pour sensibiliser les gens à ces changements extrêmes dans l'océan Austral, non seulement pour protéger ces oiseaux marins iconiques, mais aussi pour attirer l'attention sur les effets globaux du changement climatique. »

« Les manchots empereurs se situent au sommet du réseau alimentaire et sont le reflet de l'impact des changement globaux sur les échelons trophiques inférieurs », poursuit Daniel P. Zitterbart. « Cette recherche a le potentiel de transformer le manchot empereur, espèce difficile à étudier, en « canari dans une mine de charbon » de l'océan Austral et de servir de système d'alerte précoce de la santé des écosystèmes. Grâce à cette nouvelle méthode, notre prochain objectif est d'utiliser l'imagerie satellitaire annuelle pour obtenir des chiffres précis sur la population et le succès de la reproduction des 66 colonies de manchots empereurs connues à ce jour ».

Cette recherche a été soutenue par l'Institut Polaire Français Paul-Emile Victor, le Alfred-Wegener-Institut, Helmholtz-Zentrum für Polar- und Meeresforschung, la German Research Foundation, le Centre National de la Recherche Scientifique, le Centre Scientifique de Monaco, la National Science Foundation, et le Woods Hole Oceanographic Institution. 

Principales conclusions :

● De nouveaux modèles phénologiques et comportementaux aideront les scientifiques à recueillir des comptages plus précis des manchots empereurs.

● Les manchots empereurs se situent au sommet du réseau alimentaire. Ils sont le reflet des conséquences du changement climatique sur les niveaux inférieurs du réseau alimentaire marin.

● La collecte systématique de données sur la composante biologique des écosystèmes n'en est qu'à ses débuts, surtout dans les environnements difficiles, dans lesquels il est particulièrement difficile de mettre en place et mener des recherches régulières, sur le long terme et coordonnées.

Publication :
Winterl A., Richter S., Houstin A., Barracho T., Boureau M., Cornec C., Couet D., Cristofari R., Eiselt C., Fabry B., Krellenstein A., Mark C., Mainka A., Ménard D., Morinay J., Pottier S., Schloesing E., Le Bohec C., Zitterbart D. P. Remote sensing of emperor penguin abundance and breeding success. Nature Communications,
15, 4419 (2024) 

 

Pour plus de renseignements, veuillez contacter :
Dr Céline Le Bohec