Les récifs coralliens, entre diversité microbienne et secret de jouvence

Diversité et composition des microbiomes du plancton, des coraux et des poissons dans 32 îles de l'océan Pacifique : a) Carte des îles échantillonnées; b) Courbes d'accumulation de la richesse des communautés microbiennes. La ligne en pointillé représente le passage entre la fraction de petite taille planctonique ( < 3 µm) et les fractions de plus grande taille ( > 3 µm); c) Indice de diversité de Shannon pour l'ensemble des échantillons (n = 3 298). Les barres horizontales du diagramme indiquent la valeur médiane, les carrés indiquent les premier et troisième QR et les moustaches indiquent 1,5*IQR. d) Ordination nMDS basée sur Bray-Curtis (stress = 0,11) montrant les différences dans la composition de la communauté microbienne entre les biomes avec un graphique de densité sur la droite montrant la distribution des valeurs MDS2 dans le corail, les fractions de petite (0,2-3 µm) et grande (3-20 µm) taille du plancton, et l'intestin et le mucus des poissons. e) Prévalence et abondance relative des ASV dans les échantillons de plancton, de corail et de poisson. Les ASVs des Endozoicomonadaceae (symbiotes putatifs) sont colorés en noir, les Vibrionaceae (pathogènes putatifs) en gris et toutes les autres annotations en blanc. I01 : Islas de las Perlas, I02 : Coiba, I03 : Malpelo, I04 : Rapa Nui, I05 : Ile Ducie, I06 : Gambier, I07 : Moorea, I08 : Iles Cook, I09 : Niue, I10 : Upolu, I11 : Wallis et Futuna, I12 : Tuvalu, I13 : Kiribati, I14 : Ile Chuuk, I15 : Guam, I16 : Iles Ogasawara, I17 : Ile Sesoko, I18 : Iles Fidji, I19 : Grande Barrière de Corail, I20 : Chesterfield, I21 : Nouvelle Calédonie, I22 : Iles Salomon, I23 : Ile Normanby, I24 : Ile New Britain, I25 : Iles Palau du Sud-Ouest, I26 : Babeldaob, I27 : Ile Crescent, I28 : Taiwan, I29 : Ile Oahu, I30 : Golfe de Californie, I31 : Ile Clipperton, I32 : Islas Secas. © Galand et al, 2023. Diversité des microbiomes coralliens dans l'océan Pacifique. Indice de diversité de Shannon pour les communautés microbiennes des coraux a) Millepora, b) Porites et c) Pocillopora, en moyenne par île. Les couleurs des carrés représentent la force de l'indice de Shannon ; la taille indique l'écart-type par rapport à la moyenne. La superposition des couleurs de la carte montre la diversité des communautés coralliennes. © Galand et al, 2023. Facteurs expliquant la composition des microbiomes coralliens dans l'océan Pacifique. Dissimilarité par paire des communautés microbiennes comparées entre les îles, au sein des îles et au sein des sites de chaque île pour les coraux : a) Millepora, n = 382 542 comparaisons, b) Porites, n = 892 080 comparaisons et c) Pocillopora, n = 951 600 comparaisons. La dissimilarité est basée sur la distance euclidienne calculée à partir des données ASV transformées en logarithme centré (clr). Les barres horizontales du diagramme indiquent la valeur médiane, les rectangles indiquent les premier et troisième QR, et les moustaches indiquent 1,5*IQR. d) Corrélation de Mantel entre la composition de la communauté microbienne et les distances géographiques et les facteurs environnementaux pour les trois morphotypes de coraux. © Galand et al, 2023. Variation de la longueur de l'ADN du télomère (TL) entre deux genres de coraux constructeurs de récifs dans 32 îles de l'océan Pacifique. a) Distribution de la longueur moyenne de l'ADN télomérique TL (en kilobases) de l'hôte (hTL, violet) et de ses symbiotes (sTL, vert) pour les échantillons de Pocillopora spp. (à gauche) et de Porites spp. (à droite). b) Cartes de la longueur moyenne de l'ADN télomérique log-transformée au niveau du site d'échantillonnage pour l'hôte (hTL, violet) et ses symbiotes (sTL, vert), pour les échantillons de Pocillopora spp. (à gauche) et de Porites spp. (à droite). Les résultats sont présentés sous forme de diagrammes circulaires, chaque site d'échantillonnage d'une île donnée étant représenté par une tranche. Les noms des îles sont affichés et les camemberts ont été affichés de manière à éviter les chevauchements. © Rouan et al, 2023. La variation de la longueur de l'ADN du télomère (TL) est déterminée par l'île. Pourcentage de la variation de la TL expliquée par l'île d'origine, les communautés de Symbiodiniaceae et de bactéries, et la morphologie de la colonie (diamètre) pour les colonies de Pocillopora spp. et de Porites spp. dans 32 îles de l'océan Pacifique. Dans cette analyse, nous avons utilisé la moyenne, la médiane, le Q1, le Q3 et le QI. n correspond au nombre d'échantillons. Les diagrammes sont définis comme suit : les limites inférieure et supérieure de la forme représentent respectivement le premier (Q1) et le troisième (Q3) quartile. La forme entière représente l'intervalle interquartile (IQ). La médiane est représentée par une ligne traversant la forme. Les moustaches qui s'étendent à partir de Q1 et Q3 sont définies comme 1,5xIQ. © Rouan et al, 2023. Relations entre les variables environnementales et la variation de la longueur de l'ADN des télomères des coraux. Résultats d'une régression par moindres carrés partiels épars (sPLS) à deux dimensions de la TL (hTL et sTL) et des variables environnementales (contextuelles au moment de l'échantillonnage et historiques telles qu'enregistrées de 2002 à la date d'échantillonnage). Carte d'images groupées des deux dimensions sPLS, affichant les corrélations par paire entre la TL (en bas) et les variables environnementales (à droite). Le rouge et le bleu indiquent les corrélations positives et négatives, respectivement. Le regroupement hiérarchique a été effectué dans le cadre de la fonction mixOmics cim sur la base du modèle de régression sPLS.© Rouan et al, 2023. Relations entre les variables environnementales et l'expression des gènes des télomères. Résultats d'une régression par moindres carrés partiels épars (sPLS) à deux dimensions de l'expression des gènes des télomères (mesurée comme TPM) et des variables environnementales (contextuelles au moment de l'échantillonnage et historiques telles qu'enregistrées de 2002 à la date de l'échantillonnage). Carte d'images groupées des deux dimensions sPLS, affichant les corrélations par paire entre les gènes (en bas) et les variables environnementales (à droite). Le rouge et le bleu indiquent les corrélations positives et négatives, respectivement. Le regroupement hiérarchique a été effectué dans le cadre de la fonction mixOmics cim sur la base du modèle de régression sPLS. © Rouan et al, 2023.

La plus grande étude jamais réalisée sur les coraux de l'océan pacifique, Tara Pacific 2016 - 2018, co-dirigée par Denis Allemand (CSM) et Serge Planes (CNRS)vient de dévoiler ses premiers résultats scientifiques. Ils viennent de faire l’objet de 8 premières publications dans les prestigieuses revues du groupe Springer Nature. Parmi les nombreux résultats, attardons-nous sur deux publications. 


Les récifs coralliens, abris de la plus grande diversité microbienne de la Terre

Les récifs coralliens, déjà connus pour leur richesse en faune marine (ils abritent 30% de toutes la faune marine connue à ce jour), abritent également la plus grande diversité microbienne de la Terre, selon les travaux publiés par Pierre Galand de l’Observatoire Océanologique de Banyuls-sur-Mer et ses collaborateurs de Tara Pacific. Rappelons que Tara Pacific a permis de recueillir 58000 échantillons comprenant de l’eau de mer, du plancton, des sédiments, des tissus de coraux… Par une analyse moléculaire de chacun de ces échantillons, les auteurs ont analysé spécifiquement les microbes (bactéries, virus, Archées) présents dans l’échantillon… Au total, 102 téraoctets de paires de base ADN, analysées via des approches de type métabarcodes - un "code-barre" biologique qui permet d’établir l’inventaire complet des espèces présentes dans l’environnement échantillonné. Les auteurs ont alors eu la surprise d’identifier un peu plus d’un demi-million de séquences d’origine bactérienne, une valeur étonnante puisqu’elle représente… 20% de la communauté bactérienne connue sur terre !! Ainsi la biodiversité des récifs va de pair avec sa biodiversité en terme de microbes. Cette riche population bactérienne pourrait aider les récifs à mieux résister aux vagues de chaleur, à la pollution, à la turbidité et à d'autres facteurs de stress, jouant ainsi le rôle d'assurance écologique. Certaines bactéries présentes sur les coraux sont bénéfiques, par exemple en fournissant de la vitamine B à leurs hôtes, et leur diversité suggère qu'au moins certains microbes utiles sont susceptibles de survivre à une agression environnementale particulière et de continuer à soutenir le corail. La partie du récif la plus riche est constituée par le plancton. Parmi les coraux, c'est le corail de feu (Millepora platyphylla) qui est le plus riche. Cette diversité ne semble pas liée avec la température de l’eau de mer.


Le secret de longévité chez les coraux ?

Les Cnidaires, dont font partie les coraux, sont connus pour leur exceptionnelle longévité, la plus élevée parmi les animaux. Les plus vieux coraux (des coraux profonds de type Antipathaires) ont plus de 4000 ans ! Certaines méduses frôlent même l’immortalité. Parmi ces premiers articles de Tara Pacific, celui d'Alice Rouan de l’Institut sur le Cancer et le vieillissement (IRCAN) à l’Université de la Côte d’Azur et de ses collègues, a étudié la relation entre les changements de température de l'eau et la longueur des télomères de l’ADN, un marqueur de santé et de vieillissement sensible à l’environnement. Les auteurs montrent que la forte longévité des coraux massifs est liée à une forte stabilité des extrémités télomériques de ces espèces. Les télomères des coraux dont la longévité est la plus grande semblent insensibles aux variations saisonnières de température alors que les coraux dont l'espèrance de vie est plus faible y sont très sensibles. Plus généralement, les variations de longueur de leurs télomères leur permettent d’ajuster leur équilibre nutritif et de répondre à un environnement changeant - face au nombre de fois qu’ils ont pu être exposés à des vagues de chaleur par exemple, car en effet la température influence la longueur des télomères. Cette influence varie selon les espèces. "Ces connaissances pourraient directement profiter à l'homme" précise le Prof Éric Gilson, directeur de l'IRCAN, qui a piloté cette étude.

Rappelons que l'expédition Tara Pacific, initiée par la Fondation Tara Océan et ses partenaires scientifiques internationaux, au premier plan desquels le CNRS, l’Université Paris Sciences et Lettres (PSL), le CEA et le Centre Scientifique de Monaco, est un projet multidisciplinaire dont le but est d'explorer la biodiversité de milliers de récifs coralliens dans l'océan Pacifique et d’étudier les relations entre les coraux et leur environnement. Plus de 100 scientifiques de 23 instituts de huit pays y ont contribué. Cette expédition a, entre autres, bénéficié du soutien financier de la Fondation Prince Albert II.


Publications :

Galand P. E., Ruscheweyh H-J., Salazar G., Hochart C., Henry N., Hume B. C. C., Oliveira P. H., Perdereau A., Labadie K., Belser C., Boissin E., Romac S., Poulain J., Bourdin G., Iwankow G., Moulin C., Armstrong E. J., Paz-García D. A., Ziegler M., Agostini S., Banaigs B., Boss E., Bowler C., de Vargas C., Douville E., Flores M., Forcioli D., Furla P., Gilson E., Lombard F., Pesant S., Reynaud S., Thomas O. P., Troublé R., Zoccola D., Voolstra C. R., Vega Thurber R., Sunagawa S., Wincker P., Allemand D., Planes S. Diversity of the Pacific Ocean coral reef microbiome. Nature Communications, (2023)14/3039

Rouan A., Pousse M., Djerbi N., Porro B., Bourdin G., Carradec Q., Hume B. C. C., Poulain J.,  Lê-Hoang J., Armstrong E., Agostini S., Salazar G., Ruscheweyh H-J., Aury J-M., Paz-García D. A., McMinds R., Giraud-Panis M-J., Deshuraud R., Ottaviani A., Die Morini L., Leone C., Wurzer L., Tran J., Zoccola D., Pey A., Moulin C., Boissin E., Iwankow G., Romac S., de Vargas C., Banaigs B., Boss E., Bowler C., Douville E., Flores M., Reynaud S., Thomas O. P., Troublé R., Vega Thurber R., Planes S., Allemand D., Pesant S., Galand P. E., Wincker P., Sunagawa S., Röttinger E., Furla P., Voolstra C. R., Forcioli D., Lombard F., Gilson E. Telomere DNA length regulation is influenced by seasonal temperature differences in short-lived but not in long-lived reef-building corals. Nature Communications, (2023)14/3038 

 



Pour plus de renseignements, veuillez contacter :
Pr. Denis Allemand