Publications en Biologie Polaire

Histoire évolutive des manchots. Phylogénie des espèces de manchots et estimation des temps de divergence © Vianna et al. 2020 Zones d'étude intégrant, grâce à la modélisation sous le logiciel Maxent, des informations sur les habitats terrestres (sites de reproduction) et marins (sites d’alimentation) favorables aux manchots papous (Pygoscelis papua). Les zones en vert/jaune correspondent à des zones dont les critères microclimatiques sont plus favorables.
1.1 : Marion et Prince-Édouard, 1.2 et 1.3 : Crozet et 1.4 : Macquarie ; 2.1 : Kerguelen et 2.2 : Heard ; 3.1 : Patagonie et 3.2 : Falkland/Malouines ; 4.1 : Péninsule antarctique, 4.2 : Géorgie du Sud, 4.3 : Orcades du Sud et 4.4 : Sandwich du Sud © Pertierra et al. 2020
Distribution et différences fonctionnelles de deux résidus d'acides aminés sélectionnés de TLR5. (A) Les zones cartographiées représentent les quatre clades du manchot papou (Pygoscelis papua) tels que déterminés par l'analyse HVR1 (région mitochondriale hypervariable 1). Les diagrammes circulaires représentent les proportions des allèles aux deux résidus sélectionnés de TLR5 (la taille du diagramme est proportionnelle au nombre d'échantillons). (B) Les histogrammes montrent la réponse NF-kB (nuclear factor-kappa B : une protéine impliquée dans la réponse immunitaire et la réponse au stress cellulaire) des deux génotypes suite à une stimulation avec FLA-ST, une flagelline isolée de la bactérie Gram-négative Salmonella typhimurium © Levy et al. 2020
Les échantillons biologiques collectés entre 2012 et 2015 dans le cadre du Programme 137 de l’Institut Polaire français Paul-Émile Victor (IPEV) portent leurs fruits après plusieurs années d'analyses réalisées dans la cadre d'un travail collaboratif international : Trois publications ont ainsi pu voir le jour cette année 2020, publiées dans des revues d'excellents niveaux.

Des analyses à l'échelle du génome révèlent les moteurs de la diversification des manchots

À partir des analyses du génome des espèces de manchots échantillonnées, nous nous sommes intéressés à l’histoire évolutive et aux facteurs de diversification et spéciation des Sphénisciformes, cet ordre d'oiseaux marins doué de vols sous-marins à défaut des airs, réparti depuis les tropiques jusqu’aux régions polaires de l’hémisphère Sud, et qui compte aujourd’hui 18 espèces. Nous avons découvert que les gorfous, également appelés manchots à aigrettes, ont divergé au début du Miocène  (entre -23 et -5 Mya) en Australie/Nouvelle-Zélande. Le genre Aptenodytes (dont les 2 seules espèces sont les manchots empereurs et royaux, A. fortseri et A. patagonicus) a divergé très rapidement et forme un groupe bien séparé de tous les autres genres de manchots existants. On observe que les manchots ont d'abord occupé des environnements tempérés, puis ont rayonné vers les eaux froides de l'Antarctique. L'intensification du Courant Circumpolaire Antarctique (ACC) de 11,6 Mya a favorisé la diversification des manchots et leur expansion géographique. Nous avons détecté des introgressions (c’est-à-dire des transferts de gènes d’une espèce vers une autre par des évènements d’hybridation), qui dans certains cas ont suivi le sens de l’ACC. Enfin, des gènes impliqués dans la thermorégulation, le métabolisme de l'oxygène et la capacité de plongée ont été identifiés, gènes issus de processus microévolutifs qui ont permis aux espèces de s’adapter progressivement à de nouvelles niches écologiques.
 

 



La spéciation cryptique des manchots papous issue d’un isolement géographique et de conditions marines régionales : des clés pour comprendre la vulnérabilité des espèces aux changements globaux
 

La conservation de la biodiversité reste toujours, de nos jours, entravée par le manque de données. De nombreuses nouvelles espèces et sous-espèces sont en effet en attente de description ou de reclassification. La génomique des populations et la modélisation des niches écologiques offrent de nouveaux outils complémentaires pour découvrir les unités fonctionnelles de la diversité phylogénétique. Dans cet article, nous avons cherché à savoir si la phylogénie et les clades de manchots papous (Pygoscelis papua) répartis en Antarctique et sur les îles subantarctiques, étaient soumises à des conditions écologiques spatialement explicites qui ont limité le flux de gènes facilitant la différenciation génétique et donc les processus de spéciation. En utilisant des méthodes de séquençage à haut débit (ddRAD-seq) et le génome mitochondrial (mtDNA), nous avons identifié des clades divergents de manchots papous, puis généré des modèles de distribution des espèces (SDMs) basés sur des paramètres terrestres et marins. Nos analyses confirment l'existence de 4 grands clades de manchots papous inféodées i) aux archipels subantarctiques au nord du Front Polaire Antarctique, ii) aux îles Kerguelen, iii) à l'Amérique du Sud, et iv) de l'Arc des Antilles australes, également appelé Antartilles ou Arc de la Scotia. 

Le Front Polaire Antarctique, un système de courant majeur autour de l'Antarctique, agit comme la plus importante barrière séparant les clades frères régionaux. Nos analyses écologiques couvrant à la fois les domaines terrestres (sites de reproduction) et marins (sites d'alimentation) soulignent un chevauchement limité entre les niches écologiques des principaux clades de manchots papous. On observe que ce schéma correspond plus à la différenciation régionale liée aux conditions marines qu'aux caractéristiques macroenvironnementales terrestres. L’identification et la reconnaissance des principaux clades génétiques régionaux en tant qu'entités évolutives discrètes, qui diffèrent également sur le plan morphologique et qui occupent des niches écologiques distinctes, sont des résultats et outils essentiels à la biologie de la conservation. Cette étude constitue un bon exemple pour la mise en place de stratégies de conservation par l'intégration de données génomiques au sein de nouveaux modèles écologiques.
 
 


Mise en évidence d’une sélection immunogénétique induite par des pathogènes chez un oiseau marin à large répartition géographique

Au cours de l’évolution, le système immunitaire d’un hôte s’est façonné sous la pression des pathogènes présents dans son environnement, lui permettant de répondre efficacement, de manière ajustée, aux prochaines menaces. L'étendue et la direction de cette pression de sélection dépendent de la composition locale des pathogènes, qui est elle-même déterminée par les caractéristiques biotiques et abiotiques de l'environnement. Cependant, nous ne savons que peu de choses sur les mécanismes d'adaptation des espèces sauvages face aux agents pathogènes locaux. Le manchot papou (Pygoscelis papua) est une espèce complexe qui se prête bien à ce type d’études sur les adaptations du système immunitaire, du fait de sa répartition circumpolaire, de son gradient latitudinal étendu, et de la spéciation cryptique dont nous venons tout juste de parler. Dans cette étude, nous avons examiné la diversité d'une famille de gènes, les récepteurs de type Toll (ou « Toll-like receptors, TLR » en anglais). Ces récepteurs jouent un rôle capital dans le système immunitaire inné en reconnaissant les motifs moléculaires associés aux agents pathogènes. Les trois TLR que nous avons étudiés présentent des niveaux de diversité variables, les TLR4 et TLR5 dépassant largement la diversité du TLR7. Nous avons mis en évidence une sélection positive des TLR4 et TLR5, ce qui indique une adaptation induite par des agents pathogènes présents dans le milieu local. Nous avons aussi démontré que pour le LTR5, deux sites de co-ségrégation positivement sélectionnés suffisent à modifier la réponse du récepteur à son ligand bactérien, la protéine flagelline. Enfin, nos résultats suggèrent que les manchots papous ont subi des pressions de sélection distinctes dues à des pathogènes présents dans différents environnements, résultat important dans le contexte des changements globaux et de la nécessité d’identifier des espèces sentinelles de ces changements.

 
 


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