Nouveau rapport du GIEC - "Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité". Interview de Nathalie Hilmi, Chargée de recherche au Centre Scientifique de Monaco et auteur principal au GIEC

Le GIEC, le Groupe d’Experts Intergouvernementaux sur le Climat mis en place par l’organisation des Nations-unies et l’Organisation Météorologique Mondiale en 1988, a rendu son nouveau rapport ce 28 février 2022. Nathalie Hilmi, chargée de recherche en économie environnementale au Centre Scientifique de Monaco est auteur principal au GIEC dans le groupe de travail « Les impacts, l'adaptation et les vulnérabilités liés aux changements climatiques ». Elle revient ici sur le contenu du document qui vient d’être publié "Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité" au cours d'un interview réalisé par Thierry Apparu.

Quelle est la situation globale face au changement climatique ?

Elle se traduit par une plus grande vulnérabilité des populations et des pays déjà fragilisés par le réchauffement global. 
La montée des eaux est une menace de submersion directe pour un grand nombre de zones insulaires et côtières. De nombreuses communautés iliennes du Pacifique et de centres urbains en Asie sont particulièrement vulnérables. 
En Afrique, l’augmentation des températures va accroître la désertification avec des répercussions sur les conditions de développement de l’agriculture, de l’élevage et sur l’accès à l’eau potable de populations déjà en difficulté. Plus globalement les épisodes climatiques exceptionnellement violents seront plus fréquents et généralisés sur les deux hémisphères avec un coût humain et économique toujours plus élevé. Les atteintes à la biodiversité vont s’accroître et se traduire par une dégradation d'une grande partie des forêts, des récifs coralliens et des zones humides côtières de faible altitude. 3,3 milliards de personnes en Amérique centrale et du Sud, en Afrique de l'Ouest, en Afrique centrale et en Afrique de l'Est, en Asie du Sud, en Arctique et dans les petits États insulaires en développement, sont considérées comme très vulnérables au changement climatique. 


Pouvez-vous donner un exemple d’un de ces  bouleversements ?

Sous leffet du changement climatique, la mer Méditerranée se réchauffe. Cela a un impact sur la répartition géographique de certaines espèces de poissons qui cherchent des eaux plus fraîches. Elles se déplacent en gros, du sud vers le nord. C’est un phénomène, que nous étudions au CSM avec lUniversité Côte dAzur et le soutien de la Fondation Albert II dans le cadre du Laboratoire International Associé ROPSE. Cette situation va entraîner de nombreux effets collatéraux. Elle va modifier considérablement les conditions de travail des pêcheurs puisque les espaces à prospecter vont changer. Il faudra choisir de nouveaux équipements à exploiter sil faut naviguer plus loin et dans des zones aux configurations différentes Celles-ci nécessiteront lutilisation de matériels nécessairement adaptés à ces nouveaux espaces. La réglementation et la législation vont devoir prendre en compte cette donne différente pour établir une nouvelle répartition des zones de pêche entre les flottes et les pays. Il sera nécessaire vraisemblablement de réaménager les périodes d’activité pour favoriser la reproduction et le développement des poissons qui doivent sadapter à leurs nouvelles conditions environnementales. Il faudra accompagner les populations qui pourraient perdre leur source de revenus avec la migration des poissons et mettre en oeuvre de nouvelles filières dapprovisionnement vers les consommateurs. 
Le changement climatique entraîne des réactions en cascade. Elles déstabilisent la biodiversité et elles modifient le quotidien de nombreuses populations. L’adaptation des politiques publiques sera donc un enjeu majeur pour les prochaines années et les prochaines décennies, dans tous les secteurs à la fois pour atténuer les effets de nos activités sur l’environnement et la rétroaction induite  sur les populations.


Existe-t-il des points chauds de vulnérabilité ?

Trois situations se dégagent :
  • Les groupes vulnérables : les personnes à faible revenu, les femmes et les filles ou les minorités ethniques sont les plus touchées par le changement climatique. Dans le même temps, elles peuvent rendre nos sociétés plus résilientes si elles sont au cœur de la prise de décision et sur la façon dont nous répondons au changement climatique.
  • Les villes : selon les prévisions, deux tiers de la population mondiale (68 %) vivra en zones urbaines en 2050, ce qui en fait des points chauds d'impact et de risques. Les villes sont donc des éléments essentiels de la solution et les mesures prises dans les villes pourraient également apporter des avantages à d'autres espaces et aux zones rurales.
  • L’eau : le réchauffement climatique entraînera des changements dans la disponibilité et l'approvisionnement en eau qui affecteront les populations et les écosystèmes à l'échelle mondiale. La gestion efficace de l'eau sera donc essentielle.
Comment gérer ces bouleversements ?

En anticipant. La nature offre un potentiel inexploité et considérable pour réduire les risques climatiques, s'attaquer à ses causes et améliorer la vie et les moyens de subsistance des populations. Mais elle est sous pression. La restauration, la conservation et la protection de la nature, ainsi que l'évolution vers des développements urbains raisonnés, durables et qui intègrent certaines zones naturelles dans leur planification, sont des facteurs essentiels. La science nous montre que des réductions rapides et profondes des émissions de gaz à effet de serre sont essentielles pour limiter l'escalade des risques et donner à la nature et à la société plus de temps pour s'adapter à un climat changeant. 
Au cours des deux prochaines décennies, nous connaîtrons des impacts plus graves dans toutes les régions du monde. Une action plus ambitieuse et accélérée est nécessaire si nous voulons nous adapter. 
Si nous prenons en compte le risque climatique et réduisons les émissions de gaz à effet de serre lorsque nous prenons des décisions concernant l'énergie, l'industrie, le développement urbain, le logement et les transports, nous pouvons parvenir à un développement résilient et durable. Au même titre que la démographie, les indices de croissance et d’autres facteurs clés, le changement climatique et ses effets globaux et locaux doivent être intégrés aux processus de prises de décisions et d’actions des états.
Dans mon champ de spécialité, en macro comme en microéconomie, les tendances sont connues et la connaissance de plus en plus précise grâce aux éléments recueillis. Le travail de fond réalisé par l’ensemble des contributeurs aux rapports du GIEC et par le monde de la recherche en général révèle des données fiables, exhaustives. Les décideurs disposent de tous les éléments pour préparer et mettre en œuvre les orientations stratégiques pour accompagner les mutations à venir. Nous disposons des moyens d’agir efficacement.

Pour plus d'informations :

Contact : Dr. Nathalie Hilmi
Communiqué de presse et vidéo du GIEC sur le changement climatique
Interview de Nathalie Hilmi parue dans La Gazette de Monaco