Le Corail rouge

Le monde des coraux est vaste. Il inclut des organismes animaux aussi différents que les coraux bâtisseurs de récifs qui prospèrent dans les eaux tropicales, les coraux vivant à faible profondeur dans les eaux tempérées, les coraux mésophotiques peuplant les eaux plus profondes, entre 40 et 150 m, et enfin les coraux profonds que l’on trouve jusqu’à 2000 m de profondeur dans tous les océans du globe. La grande majorité de ces animaux appartiennent à l’embranchement des Cnidaires, à la classe des Anthozoaires, à la sous-classe des Hexacoralliaires et à l’ordre des Scléractiniaires.

Pourtant, le nom de Corail a été initialement forgé non pas pour ces animaux, qui n’étaient pas connus des Européens, mais pour un autre organisme, le Corail rouge de Méditerranée, Corallium rubrum. Jusqu’au XVIèmesiècle, ce corail était en effet le seul corail connu. Le nom corail vient de l‘hébreu « Goral » signifiant pierre magique. Les Grecs le transformeront en Korallion, « j’orne », devenu en latin Corallium toujours utilisé pour définir le corail rouge. Ce n’est qu’à partir du XVIème siècle qu’il a été appliqué aux autres coraux.

Contrairement aux autres coraux, le corail rouge appartient à une autre sous-classe des Anthozoaires, celle des Octocoralliaires. Le corail rouge a une particularité : son squelette constitue une matière emblématique en joaillerie et est utilisé dans ce domaine depuis les temps préhistoriques, il est appelé corail précieux. Sa couleur rouge, si caractéristique et si particulière, le distingue des autres coraux et en fait sa préciosité et sa fascination. Son utilisation est attestée depuis au moins le Néolithique, 4000 ans avant J.C. Il faisait déjà l’objet d’un commerce lucratif au Iersiècle – Pline l’Ancien témoigne de son exportation vers l’Europe centrale et l’Asie, et ce commerce n’a jamais cessé au cours des siècles. Il a servi de monnaie d’échange avec l’ambre du Nord, les épices du Moyen-Orient ou les diamants indiens[1]. Souvent dénommé « Or Rouge » ou « Sang du Christ », il possède une importante valeur marchande, mais il est également apprécié comme porte-bonheur ou protecteur contre les esprits. Il peut même être utilisé broyé où, mélangé avec du miel, il permettrait de « régénérer » le sang et d’améliorer la vigueur de l’homme ! Mais c’est son utilisation dans l’art profane et religieux qui fait sa valeur : sculpture, incrustations, bijoux... 

D’après le CIBJO[2], le terme de corail précieux désigne des organismes animaux marins, appartenant à l’embranchement des Cnidaires, dont le squelette est utilisé, après polissage ou non, en bijouterie, joaillerie ou décoration. Stricto sensu, seules quelques espèces appartenant à la famille des Coralliidae, composée des trois groupes suivants, CoralliumPleurocorallium et Hemicorallium, sont appelées coraux précieux. Le terme de corail semi-précieux désigne quant à lui des Cnidaires[3] dont le squelette, généralement poreux, peut être utilisé en bijouterie uniquement après imprégnation avec de la résine[4]. Ces derniers sont souvent vendus en tant que corail précieux, constituant alors une contrefaçon, quelquefois difficile à déterminer.

Mais si le corail rouge est une matière incontournable en joaillerie, il est avant tout une espèce iconique de la faune méditerranéenne, à l’origine d’un écosystème caractéristique de cette mer, le coralligène. Le nom de coralligène a été utilisé pour la première fois en 1801 par le zoologiste Jean-Baptiste de Lamarck qui parlait de « polypiers et polypes coralligènes ou zoophytes » pour définir les coraux. C’est le naturaliste provençal, Antoine-Fortuné Marion qui, en 1883[5], l’utilisa pour décrire un écosystème caractéristique de la Méditerranée caractérisé par des fonds bioconcrétionnés, typiquement entre 20 et 70 m de profondeur, sous l’herbier de Posidonie. Parmi les habitats marins méditerranéens, le coralligène est le plus riche en biodiversité, juste après l’herbier de Posidonie. Tout comme les récifs coralliens, le coralligène est constitué d’espèces sessiles qui fournissent, tels une forêt, abris et nourriture pour de multiples espèces et possède donc une haute valeur économique.

Caractérisé par une croissance très lente, contrairement à ses cousins constructeurs de récifs, le corail rouge est aujourd’hui un trésor naturel méditerranéen qu’il est nécessaire de protéger. Ses deux principales menaces sont le braconnage, la pêche légale étant très contrôlée, et l’impact du réchauffement des eaux qui a pu provoquer, dans les années passées, des mortalités massives.

Cependant, la biologie et la physiologie du corail rouge restent encore peu connues. Afin de pallier cette lacune, le Centre Scientifique de Monaco et la Maison CHANEL ont signé le 27 septembre 2019 une convention de partenariat portant sur la création de l’Unité de Recherche sur la Biologie des Coraux Précieux. L’objectif de cette convention est de développer des programmes de recherche fondamentale et appliquée pour mieux comprendre certains processus clés de la vie du corail rouge dans le but de mieux protéger cette espèce. De façon plus précise, le programme scientifique de l’Unité de Recherche sur la Biologie des Coraux Précieux vise à mieux comprendre les mécanismes qui contrôlent la croissance et la couleur du corail rouge de Méditerranée et à étudier des solutions innovantes afin d’aider à la conservation de cette espèce.

Petit rappel sur la biologie et l’anatomie du corail rouge
Le squelette axial utilisé en joaillerie est élaboré par une couche de cellules, appelée épithélium squelettogénique. Le tissu du corail (ou cœnenchyme), très fin (moins d’un millimètre), recouvre la totalité du squelette comme le gant recouvre le doigt. Des microstructures squelettiques, appelés spicules ou sclérites, sont dispersées au sein du cœnenchyme. Alors que le squelette axial résulte d’une calcification extracellulaire, les sclérites sont formés, au minimum dans leur phase initiale, au sein d’une cellule spécialisée, le scléroblaste.
La formation des structures squelettiques (squelette axial et sclérites) résulte d’un processus biologique appelé biominéralisation, processus qui préside également à la formation de nos os, des perles, de la coquille des mollusques, des tests d’oursin… Le produit de la biominéralisation est appelé Biominéral. Le Biominéral est un composé hybride constitué d’une fraction minérale, du carbonate de calcium (CaCO3) dans le cas du corail, enchâssant une trame organique complexe, appelée Matrice Organique (Fig. 1). La biochimie de cette matrice et son rôle restent encore très peu connus. Le squelette est coloré par des pigments organiques de type caroténoïdes.

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Figure 1 : Du corail vivant (photo de gauche) aux polypes épanouis à la matrice organique qui conserve la morphologie du squelette (à droite) en passant par la colonie aux polypes fermés puis au squelette nu (
© Guillaume Loentgen, CSM).

Les Octocoralliaires, comme tous les êtres vivants sont des holobiontes, c’est-à-dire des êtres complexes formés de plusieurs organismes, incluant un hôte (le corail animal dans le cas du corail rouge) et des microorganismes associés (bactéries, virus, champignons et autres microorganismes associés), pouvant être symbiotiques, commensaux ou pathogènes. Or, il apparaît de plus en plus dans d’autres organismes, comme l’être humain, que les microorganismes sont une des clés de la santé des organismes hôtes, de leur résistance aux stress, et même de leur croissance optimale, notamment en période larvaire. Les équipes du CSM ont démontré récemment que le corail rouge est constamment associé à des bactéries de type Spirochaetes et de type Endozoicomonas. Cette association est différente des autres Octocoralliaires méditerranéens, tels que les gorgones, qui semblent plutôt associées uniquement aux Endozoicomonas. Le rôle de ces deux bactéries dans la santé et/ou le fonctionnement de leur hôte est complètement inconnu. 
 
 
[1] Voir l’ouvrage de Trivellato (2016). Corail contre diamants. De la Méditerranée à l'océan Indien au XVIIIe siècle. Éditions du seuil. 574 p.
[2] Confédération Internationale de la Bijouterie, Joaillerie, Orfèvrerie, des Diamants, Perles et Pierres.
[3] Par exemple, le corail Bambou (Isis hippuris), le corail bleu (Heliopora coerulea), le corail d’or (Gerardia sp., Kulamanamana haumeaae) ou encore la gorgone noueuse (Melithaea ochracea).
[4] Cooper, E.W.T., Torntore, S.J., leung, A.S.M., Shadbolt, T., Dawe, C. (2011). Guide to the identification of precious and semi-precious corals in commercial trade. World Wildlife Fund-Canada and TRAFFIC-North America, 218 p.
https://www.ncei.noaa.gov/data/oceans/coris/library/NOAA/CRCP/other/grants/NA08NMF4630456_traffic_species_invertebrates9.pdf
[5] Marion, A.-F. (1883). Esquisse d’une topographie zoologique du golfe de Marseille. Ann. Musée Hist. Nat. de Marseille. Tome I, pp. 3 – 167.